La Thérapie
J’ai
comme cette impression étrange qu’on me surveille.
Quand
est-ce que ça a commencé ?
Ah
ça ! C’était progressif... insidieux.
Au
début, c’était de drôles de pensées, souvent nocturnes, qui
m’angoissaient. Je ne dormais pas beaucoup. Je sentais sa présence
à mes côtés.
Si
pesante.
Tangible
presque, comme un œil géantissime penché sur mon abdomen.
Mais dès que j’allumais la lumière je me découvrais curieusement
seul, misérable et recroquevillé dans mon lit blafard. J’en ai
fait de terribles insomnies à force.
J’étais
crevé.
Je
piquais du nez sans arrêt. Au boulot, à table, pendant la promenade
de Dreyfus, même faire l’amour à ma femme m’était impossible.
Dès que j’avais un instant à moi je sombrais dans le sommeil.. Et
quand bien même ! Ce n’était l’affaire que de quelques secondes
avant qu’elle ne se rappelle à moi.
Oui,
oui… Ça vous étonne. Je sais.
Mais
c’est elle qui m’empêchait de dormir, vous voyez…
Comment
vous appelez-vous déjà ?
Non,
votre prénom.
Ah,
Emmanuelle, très joli Emmanuelle.
J’avais
une jeune camarade de classe qui se prénommait ainsi quand j’étais
tout jeune, je me souviens d’elle, elle était drôlement belle
déjà à cet âge..
Comment
?
Ah,
bien sûr, bien sûr.
Donc
vous comprenez Emmanuelle, elle est fourbe, vicelarde, elle
m’effleure dès que j’éteins la lumière.. juste d’un
millimètre. Son souffle me gratte le dos et sa main immense me
parcoure l’échine...
Un
peu de cette manière, vous voyez.
Pourquoi
?
Mais
parce que ça l’amuse ! Elle se joue de moi ! Elle sait que je sais
! Bien entendu !
Elle
adore ça, elle veut me torturer ! C’est une sorte de hobby
sadique.
Oh
Emmanuelle...
Elle
rit sûrement très fort de m’entendre déblatérer toutes ces
choses devant toi.
Ah
oui pardon, je vous ai tutoyé sans réfléchir.
On
a pas gardé les cochons ensemble, ou bien je m’en souviendrais
pour sûr.
Vous
savez j’étais sceptique de venir vous parler. Enfin, je veux dire,
pas vous en particulier. C’est la situation que je n’aime pas, je
me sens petit en face de vous. Si professionnelle, sereine alors que
moi je suis... moi. Je vis dans l’obscurité, vous dans la lumière.
Tout dans cette pièce est organisé autour de vous.
Regardez
!
Vous
êtes sous les projecteurs ici, moi je suis le spectateur de votre
incroyable beauté, je fais partie du décor, une sorte de silhouette
cartonnée qui se serait soudainement mise à parler. Comme ça,
clac, un sale jour de brume. La brume elle est dans ma tête bien
sûr, parce que dehors si on y regarde vraiment il fait beau. Il fait
beau à s’en crever les yeux même.
Bah
non te casse pas !
Je
suis pas fou ! Tu me connais pas, tu connais pas ma vie ! Elle m’a
quitté tu sais, non pas elle, celle-là me colle à la peau, elle
s’accroche à mes pompes comme le vers solitaire, je voulais dire
ma femme. Elle s’est cassée. Elle aussi elle pense que je suis fou
à lier. Mais c’est pas vrai… Je… Je suis pas fou, je le sais.
Elle me torture, elle me… elle me…
Pardon,
oui… Je me suis emporté, j’aurais pas dû, j’aurais pas dû
monter sur le comptoir, excuse-moi Emmanuelle,
excuse-moi, je voulais pas te faire peur.
Allez,
vas-y, sois un ange pour moi, je suis qu’un pauvre rat tu vois, et
toi là sous toutes ces lampiotes tu brilles. Allez… Allez je
t’offre un verre, ce soir je suis aussi bourré que riche.
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